Chapitre 6 : Des lignes imaginaires et des sommets inimaginables
- Loïck RL
- 17 nov. 2018
- 5 min de lecture
Cela fait maintenant trois nuits que je suis à Ibarra. Ce matin, je me décide à partir pour Otavalo. Comme il n'y a qu'une demi-heure de route, je vais tenter d'y aller en stop. Je me trouve donc une station essence vers la sortie de la ville où lever le pouce. Quelques voitures passent, je sens le soleil qui me brûle la peau, et finalement quelqu'un s'arrête. C'est un père avec son fils. Le père travaille dans une joaillerie à Otavalo, et le fils, Alan, en vacances pour l'instant, le suit pour l'aider et se promener. Ce dernier me propose alors de passer la journée avec moi pour me montrer les environs et discuter un peu. Il me fait ainsi visiter, et je découvre ce village aux arômes de culture Quechua, un des derniers vestiges de la civilisation Inca. Le soir venu, depuis la chambre de mon petit hôtel j'entends de la musique plus forte qu'à l'habitude dans la rue. Je sors et je tombe nez à nez avec une grande fanfare défilant. Des personnes passent par groupe et y dansent avec des costumes divers aux milles couleurs. À l'avant de chaque groupe il y a deux enfants portant une pancarte avec écrit en espagnol "Groupe scolaire du 10 Décembre". Le lendemain, pendant que l'on déambule dans le plus grand marché d'Amérique Latine, je demande à Alan s'il sait pour quelle raison cette manifestation a eu lieu la veille. Il me répond alors "Pour ne pas perdre certaines traditions, la mairie de la ville a imposé à des écoles d'organiser régulièrement un défilé avec des musiques, des danses et des costumes traditionnels". Nous en France nous faisons une kermesse, eux ils défilent, à chaque pays sa représentation de fin d'année après tout.
Il est maintenant 13h et je compte partir à Quito. Après avoir commencé le trajet en stop et avoir été convaincu par une pluie torrentielle de continuer en bus, j'arrive chez Mateo, un étudiant qui m'hébergera sur les deux prochaines nuits. Enfin, si tout va bien et si son ex-petite copine ne pique pas une crise de jalousie en me voyant dormir par terre. Bien que sympa, il n'est pas très bavard et me dit qu'il préfère me laisser libre le lendemain. Ça tombe bien, je sais exactement ce que je compte faire. D'abord je souhaite aller à la mitad del mundo, une sorte de parc beaucoup trop cher par rapport au reste de mes dépenses dans le pays mais indiquant l'endroit où passe l'équateur et les origines de sa découverte. J'y apprendrai d'ailleurs que le nom du pays est dû en partie aux Français. En effet, la France a financé il y a quelques siècles une mission scientifique dirigée par De La Condamine pour mesurer un arc du méridien à Quito et par là-même tester la théorie de Newton sur le fait que la Terre est aplatie aux pôles. Cette exploration s'est terminée au niveau de la ligne équatoriale en Amérique Latine, et le journal de De La Condamine s'intitulait de ce fait "journal du voyage à l'Équateur". Pour cette raison, lors de l'indépendance du pays, ce nom fut gardé. La deuxième chose que je veux voir est le centre historique et colonial de Quito. Je gravirai là les marches d'une tour de la cathédrale Notre Dame du Vote National, qui est un peu leur Notre Dame de Paris et qui donne une vue à 360° sur la ville.
Ces deux jours à Quito maintenant finis, je me remets à faire du stop depuis Machachi, un petit hameau à la sortie de la capitale. Mince, il commence à pleuvoir... Bon j'attends encore quelques minutes et je vais me mettre à l'abri dans une auberge de jeunesse. Par chance, quelqu'un s'arrête au moment où je pense à partir. Il me demande où je vais, je lui réponds "Le plus au sud possible !". J'espère, dans le meilleur des cas, arriver à Ambato, mais je n'y crois sincèrement pas trop. Il me dit alors qu'il va à Baños. Ce village à l'est d'Ambato, qui dans mes souvenirs est très joli, je ne comptais pas trop y passer car il me fait faire un détour. Mais là, l'occasion est trop belle. Je saute dans sa voiture et nous partons sous la pluie qui commence à se densifier. Sur le chemin, nous sillonnons entre les volcans tous plus beaux et plus hauts les uns que les autres. Arrivés à Baños, ce cardiologue décidément réellement sympa me dépose à un petit hôtel tenu par une de ses patientes. Alors que je me demande ce que je pourrais faire le lendemain, je lève la tête et me retrouve face à cet imposant et incroyable volcan culminant à 5019m, le Tungurahua. Les jambes me démangent et j'aimerais vraiment tenter l'ascension. Je ne pense pas avoir le niveau ni la capacité pour le gravir en entier, mais au moins essayer d'aller le plus loin possible me paraît être un bon projet.
Je démarre donc à 7h, ventoline en poche, à 1800m d'altitude. Je marche avec un rythme constant et avance progressivement. Mes bronches ne sifflent pas, tout semble aller. Les cuisses commencent à vraiment me chauffer, mais il est hors de question que je fasse demi-tour pour ça. Après 4h30 de montée et 2000m de dénivelé, j'arrive finalement au refuge. Le paysage est à couper le souffle. Alors que je me dis que je vais dormir ici pour rentrer le lendemain, un Tchèque arrive. Il me raconte qu'il compte partir pour le sommet à 3h30. Autant je ne voulais pas le faire seul, autant à deux ça se tente. Nous commençons donc notre marche dans le petit matin sous le ciel étoilé. Je l'ai prévenu que mon asthme me ralentira sûrement et qu'il sera plus rapide que moi, mais finalement ses 15 ans de tabagisme compensent. Nos lampes frontales nous permettent juste de voir nos pieds et nos gants nous évitent d'avoir du givre sur les doigts. Au fur et à mesure que nous montons il devient de plus en plus difficile de parler sans s'essouffler, le froid se fait plus mordant, et le terrain sableux nous donne l'impression de marcher sur place. On se motive mutuellement et 3h30 après, nous apercevons enfin le cratère. Quelques derniers 100m de dénivelé, et nous sommes au sommet. Ce qui s'ouvre alors sous nos yeux est incroyable. Une mer de nuage s'étend à 360° autour de nous. Quelques pics enneigés culminant à plus de 5000m en sortent ça et là. Nous pouvons toucher le ciel, nous sommes sur le toit du monde. À cet instant, je ne peux pas m'empêcher de penser à toutes ces personnes qui m'ont dit par le passé que la montagne était une activité ringarde et nulle. C'est vrai que je ne suis pas habillé pour la fashion-week et que je ne vais pas me poser en maillot de bain au bord d'une piscine avec un mojito. Mais qui a le droit de me le reprocher ? Quand ce spectacle se déroule sous mes yeux, quand je prends conscience d'où je suis et de ce que j'ai fait, je me dis que les années de montagne que j'ai derrière moi ne sont pas ridicules. En fin de compte, je réalise que ceux qui me critiquaient ne verront jamais ça et ne ressentiront pas ce sentiment grisant de grandeur que l'on peut avoir à cet instant. C'est une petite revanche sûrement inutile car ces ignorants à l'insulte facile mais à la parole futile ne sauront jamais ce que je pense d'eux ici et maintenant, mais c'est un plaisir personnel qui accompagne ma marche entre Soleil et Terre. Voilà ce qui me traverse l'esprit quand je me laisse à contempler le ciel immense où les nuages dansent inlassablement avec le flanc des sommets. Ou alors le manque d'oxygène me fait dérailler, c'est probable aussi.
C’est fabuleux ce que tu as fait.Un grand bravo.!! À bientôt 👋
La thématique de ton tour du monde s'est de te faire héberger chez des gens ayant un.e ex jaloux.se ? :)
Très beau récit ceci dit.
Non tu ne faisais pas de manque d'O2. Ce que tu as fait était vraiment superbe avec un paysage à couper le souffle , que tu avais encore là haut à un peu plus de 5000 m.
Même si certains "fashion-week mojito bord de piscine" t'ont critiqué et traité de ringard, ils ne savent pas ce qu'ils loupent devant un paysage de montagne, volcan à haute altitude, tandis que toi, tu auras un avantage flagrant devant ces ploucs. Tu sauras toi aussi profiter d'un mojito peut-être avec piscine.