Chapitre 10 : La frontière des souvenirs
- Loïck RL
- 14 mars 2019
- 5 min de lecture
Le temps passe vite. Je vois le douanier apposer le tampon d'entrée en Argentine devant moi alors que j'ai l'impression que c'était hier que je posais le pied au Chili pour la première fois. Et pourtant ça fait bien 7 semaines. De nombreuses choses s'y sont passées.
À commencer par ce chauffeur de bus qui a tenté de m'arnaquer avant de sortir du Pérou. Je venais d'arriver à Tacna, dernière ville péruvienne avant la frontière du Sud, par un bus de nuit où comme à l'habitude dans ce pays je n'avais que peu dormi et pas encore mangé. Je devais y prendre un mini-bus pour aller à Arica, première ville au Nord du Chili. Au moment où je lui montre mon passeport français lui assurant que je pourrai passer le poste-frontière sans problème, il me demande un papier nommé "carte de tourisme andin" qui m'aurait été donné lorsque je suis entré dans le pays au nord. Je cherche dans mes affaires, mais je n'ai pas ce papier. Pis encore, je n'ai même pas souvenir de l'avoir eu entre les mains. J'essaye de me remémorer le passage de douane à la sortie de l'Équateur, et je ne me rappelle absolument pas qu'on m'ait donné quoi que ce soit. Alors il est bien vrai que c'était il y a deux mois et qu'il était 3h du matin, mais je me sais rigoureux, surtout aux postes de frontière, car je sais que ce sont des moments clefs où il ne faut rien négliger. Je lui demande s'il est sûr de lui, s'il est sûr que ce papier est nécessaire et qu'avec un passeport français le tampon d'entrée ne suffit pas. Rien à en tirer, il continue de me dire que sans ce papier, je ne monterai pas dans son bus pour aller en terre promise. Je suis bien embêté car je ne me vois pas marcher 4h dans le désert avec mon sac à dos. Face à mon embarras, il me propose quelque chose : quand on l'a perdu, il est possible de refaire ce papier au passage de frontière, mais le problème est que ça prend du temps. De ce fait, si je le paye 20 soles au lieu du tarif normal de 10, il m'attendra. Sinon je peux prendre un taxi qui coûte 25 soles et qui m'attendra aussi. Pour me prouver sa bonne foi, il demande à son ami le chauffeur de taxi si ce papier est vraiment nécessaire. Ce dernier répond que c'est un document indispensable qui est donné à tous les touristes qui entrent au Pérou par une frontière terrestre. À cet instant, 3 options s'offrent à moi. Soit il a raison, et je n'ai pas d'autre choix que de payer plus pour réparer mon erreur qui fut de perdre un papier important. Soit lorsque je suis entré dans le pays la douanière a oublié de me donner cette "tarjeta de turismo andino", ce qui me surprendrait dans la mesure où je n'ai pas le souvenir que le Hollandais et l'Espagnole avec qui j'étais cette nuit-là n'aient reçu quoi que ce soit non plus. Soit il essaye de me voler en étant de mèche avec le taxi, et çà, ça m'énerverait sérieusement. Je me rappelle ma règle numéro 1 de ce voyage : suivre son instinct, et là il me dit que ces deux là ne sont pas nets. De plus, en y repensant, je me souviens maintenant parfaitement le moment où je suis entré dans ce pays, je me souviens comment se sont déroulés les événements, à quoi ressemblaient les lieux, je me rappelle avoir été surpris par le sérieux du contrôle avec relevé d'empreinte digitale et prise de photos. Je décide donc de tourner le dos à mes interlocuteurs, et d'aller demander à toutes les personnes de cette gare de bus ce qu'ils savent de ce document. Rapidement quelqu'un m'annonce que les seules informations fiables que je pourrais avoir me seront données au bureaux des migrations, à 15 minutes à pied d'ici. J'y vais donc avec mes 16 kg sur le dos et 35°C de température. On m'y annonce que ce papier est absolument inutile pour les Français et la plupart des Européens, et que c'est donc pour cela qu'on ne me l'a jamais donné. La femme me renseignant me raconte aussi qu'il est chose courante chez les chauffeurs de vouloir faire payer plus aux personnes, et ce fait a l'air de l'énerver au plus haut point. Elle me l'imprime quand même pour que je puisse partir sans payer plus. Je retourne au terminal. Depuis, c'est un autre bus avec un autre chauffeur qui est là. Celui-ci, honnête, ne me demande que mon passeport. J'arrive ainsi épuisé à Arica. Il est 15h30, donc 13h30 au Pérou, je suis levé depuis 7h sans avoir réellement dormi la nuit, je n'ai pas encore mangé et je suis trempé de sueur. Et surtout, j'ai dans ma poche une feuille A4 intitulée "tarjeta de turismo andino" qui vient d'être imprimée pour rien. Mais au moins, j'ai la satisfaction de ne pas m'être trompé et d'avoir évité une arnaque.
Je souris en repensant à cette histoire. J'espère que cette fois le changement de pays sera plus simple. Pour être honnête je n'ai pas trop peur car les Chiliens ont l'air bien plus sérieux vis-à-vis de la corruption. Je regarde à gauche et je vois une mère avec son enfant. Des images me reviennent alors en mémoire. Notamment l'arrivée de mes parents à l'aéroport après 36h d'avions et de transferts et 4h de décalage horaire, où j'ai vu sur leur visage un peu fatigué se dessiner un sourire rayonnant lorsqu'ils m'ont aperçu. Je revois ces 6 semaines passées ensemble le long des déserts du Nord et des glaciers millénaires patagoniens qui bientôt ne seront plus qu'un souvenir. Je regarde devant moi et j'aperçois deux amis rire. Ils me font penser à cette dernière semaine à Santiago avec Nicolas, ami et ancien colocataire de Nancy, qui lui commence son voyage. Je tourne encore la tête à droite et je vois le bus qui attend. Seul. La liberté a un goût de nostalgie parfois. Lorsqu'on se retrouve avec soi-même on prend conscience de l'importance de passer du temps avec ceux à qui l'on tient.
Ça y est, je suis remonté dans le bus en direction de Mendoza. Je vois se dessiner devant moi la fin de la cordillère des Andes, cette camarade dont je longe les flancs depuis maintenant 5 mois. Je vois le paysage qui se laisse deviner petit à petit au loin. Cette immensité est si belle qu'elle en devient attractive, j'ai envie de la parcourir car je sais qu'une seule vie ne serait pas suffisante pour tout connaître. Je sens ces ailes pousser sur mes sandales et un vent me pousser vers tout ce qu'il y a que je ne peux pas voir. La liberté a un goût de curiosité pouvant devenir addictif parfois.
Et c'est les yeux plein de spleen et d'idéal que je... merde, ce récit devient beaucoup trop vaniteux et sa philosophie frise certaines publications facebook. Retour à la réalité, et direction San Rafael où je vais travailler dans les vignes avec le soleil brûlant et les pieds bien sur Terre.
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