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Chapitre 11 : Du vin et un voyageur révolutionnaire

  • Photo du rédacteur: Loïck RL
    Loïck RL
  • 2 avr. 2019
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 4 avr. 2019

Mes jambes, mes bras et mes cheveux collent tant ils sont plein de jus de raisin. On cueille, on trie, on écrase, on vérifie la fermentation, on filtre, on presse... En un mot, on fait du vin. Ça fait maintenant quatre jours que je suis arrivé dans ce petit vignoble bio de l'ouest argentin. Les anciens volontaires sont partis hier, et Gabi, une volontaire hongroise présente depuis déjà quatre semaines, la propriétaire et moi attendons avec impatience l'arrivée des nouveaux pour nous épauler demain.


    Kathi me demande quel genre de musique je veux écouter pour donner du rythme à notre danse pieds nus sur les grappes pour en extraire le jus. Je n'en ai aucune idée. En tout cas, n'importe quoi sauf du reggaeton, car 5 mois et demi en Amérique Latine me donnent une overdose. Ce sera donc du Johnny Cash. Décidément cette Américaine arrivée ici il y a trois jours, qui passe un master à distance sur l'influence qu'ont les plantes entre elles, a bon goût. Hernan, le quatrième volontaire, un Argentin de Buenos Aires ayant décidé de quitter son emploi dans le marketing pour apprendre tout ce qu'il pouvait sur le vin, nous apporte un peu de maté pour nous motiver à mettre les pieds dans ces graines de raisin si froides. D'autant plus que nous devons terminer ça aujourd'hui, demain soir étant la pleine Lune. En effet dans ce vignoble, il est de coutume chaque année de réaliser une fête et une cueillette sous la pleine Lune. Tous les voisins et amis de la propriétaire sont invités pour l'occasion, et le vin qui en sera fait s'appellera "la Lunática".

    Ça y est, c'est le grand soir, les invités arrivent. Nous avons passé la journée dans les préparatifs, ordonnant les espaces et cuisinant quelques empanaditas. On parle, on rigole, un petit groupe joue de la musique andine. Les verres se remplissent de breuvage couleur rubis à mesure que la nuit étend son ombre. Quand plus un rayon de soleil n'est perceptible, nous nous dirigeons vers les vignes. Nous allumons un grand feu et entamons les vendanges. Les silhouettes se distinguent avec peine grâce au clair de Lune et les ombres dansent au rythme des flammes. La moindre feuille prend des allures de monstre fantastique avec cette luminosité. La flûte de pan sonne une mélodie envolée et le tambour résonne dans le thorax. On continue à rire aux éclats en se racontant nos vies, on trinque pour la santé de nos amis et pour remercier la Pacha Mamma. La cueillette finie, nous nous regroupons autour du feu et entamons une bouteille de Lunática de l'année précédente. Petit à petit l'ambiance s'adoucit, les enfants s'endorment au coin du feu et les adultes continuent de parler. Avec les trois autres volontaires on trinque à cette belle rencontre internationale et aux voyages. Cette nuit est réellement magique, on peut sentir une chaleur humaine, et la musique nous porte dans une ronde mystique. Nous nous allongeons dans l'herbe et nous racontons nos vies. Hernan se lève régulièrement pour aller attiser le feu et s'assurer qu'il ne s'éteigne pas. Dans un éclat de rire nous décidons de le baptiser "le seigneur du feu". Partis sur cette lancée, nous cherchons un surnom à chacun. Gabi, dû au fait qu'elle est la plus ancienne d'entre nous quatre dans la finca ainsi que la plus âgée sera "la capitana". On reprend notre souffle perdu dans un pouffement. Les yeux admirant les étoiles majestueuses, Kathi nous raconte qu'elle a rencontré une sorcière dans les vallées aux alentours de Córdoba lui ayant dit des choses incroyables, et lui ayant même enseigné quelques éléments de sorcellerie. Nous buvons une gorgée à la santé de cette sorcière et décidons de renommer Kathi "la sorcière des vignes". Quant à moi, je serai "la souris astucieuse". Cela est dû à une conjonction de mon signe astrologique chinois venu mystérieusement dans la conversation et du fait qu'ils me trouvent ingénieux et plein d'idées. Ça y est nous avons désormais nos patronymes pour le reste du volontariat. Calmement, nous finissons par rentrer dans notre chambre en terre cuite pour nous coucher après cette soirée exceptionnelle. Il est dit que la cueillette en pleine Lune donne un goût différent au vin. Et il est vrai que cette nuit-là fut incroyable, nous pouvions presque sentir des ondes émanées de la Terre et du ciel, ainsi que de cette communauté humaine dansant, chantant et jouant de la musique issue des Incas, autour d'un feu. Cependant, le mal de tête que nous avons le lendemain nous donne un autre indice sur ce qui nous a fait ressentir des vibrations mystiques...


    Aujourd'hui est notre dernier jour ensemble au vignoble. Ces deux semaines passées 24h sur 24 avec mes trois camarades furent géniales. Mais comme si souvent en voyage, faire de belles rencontres implique de difficiles aurevoirs. Après avoir tant partagé avec eux, on se sépare sachant pertinemment que les chances pour que nous nous revoyions sont très minces. Eux restent une journée de plus, moi je prends le bus de nuit pour Córdoba.

    J'arrive ainsi au petit matin dans cette grande ville où Ernesto Guevara de la Serna, plus connu comme "el Che", a passé son enfance et a commencé ses études. Je vais donc visiter dans la périphérie sa maison d'enfance convertie en musée, retraçant son histoire. On y parle d'un homme doué en cours et intelligent, plein d'idéaux. Il a un asthme très prononcé dès son plus jeune âge ce qui a poussé ses parents à venir habiter un peu au large de Córdoba où l'air y serait plus pur. Il a commencé ses études de médecine avant de prendre une année de pause pour partir voyager avec un ami à lui en Amérique du Sud. Il raconte dans une de ses cartes postales pour sa famille : "ce voyage m'a plus touché que je ne l'aurais pensé". Il découvre les inégalités au sein des peuples, et l'écrasement de certains pays sous des dictatures soutenues et armées par les États-Unis. Il rêve d'union des pays latinos. Par la suite de ce voyage il rentre à Buenos Aires pour terminer ses études, mais au fond de lui il sent qu'il veut faire plus et qu'une lutte plus grande l'attend. Dans un voyage suivant, il rencontrera Fidel Castro, et la suite nous la connaissons tous. Il dira d'ailleurs : "Mon avenir dépend de la révolution cubaine. Ou que je réussisse, ou que je meurs." Bien que ce musée ne soit pas objectif sur cet homme et le montre comme un martyr sans aucun défaut ni dans son comportement ni dans ses idées, il n'en reste pas moins émouvant. Le Che Guevara s'est battu pour son utopie d'égalité, et est aujourd'hui un des plus grands symboles de liberté et de lutte contre l'impérialisme. Cela lui vaudra par la suite sa mort en Bolivie en 1967 lors d'une révolte contre la dictature militaire en place. Il est dit que les États-Unis, par le moyen de la CIA, aurait aidé à cela. À chacun de se faire son avis là-dessus.

    Après avoir vu ce musée provocant chez ses visiteurs des envies de révolution et de lutte même sans savoir contre quoi, je visite Córdoba. En parlant avec mes camarades des vignes par messages, j'apprends qu'une tempête a sévi à San Rafael, que des arbres et des branches sont sur les routes et qu'il y a eu une longue panne d'électricité générale. Ils ont failli ne pas pouvoir partir dû à l'annulation d'une grande partie des bus quittant la ville. Décidément j'ai de la chance. Je passe par le terminal de bus pour acheter mon billet pour l'Uruguay. La fin de mon périple latino-américain commence à se faire sentir.



"Je ne pense pas que nous ayions un quelconque lien de parenté. Mais si vous aussi vous tremblez d'indignation chaque fois qu'une injustice est commise dans le monde, alors nous sommes camarades, c'est le plus important."

[Ernesto Che Guevara, 1964]

1 commentaire


Julien Mondain
Julien Mondain
02 avr. 2019

"Souris astucieuse" ... c'est tellement toi

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