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Chapitre 3 : Des histoires de chiens

  • 29 oct. 2018
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 10 nov. 2018

 Me voilà donc à Jardín, après quelques heures de bus, de nombreuses heures d'attentes pour une correspondance, et une engueulade avec un commerçant qui m'a quasiment arnaqué. J'attends Andrés, un gars de couchsurfing qui a accepté de m'héberger dans ce petit village de montagne. Ah, le voilà ! La conversation s'engage donc dans le parc central, jusqu'au moment où il me raconte qu'un ami à lui tient une auberge de jeunesse et qu'il aimerait trouver un volontaire pour quelques jours. Il me demande si je serais intéressé, mais il me prévient que ce sera une première expérience de projet de volontariat de la part de son ami, le but étant d'évaluer s'il allait lancer ce type d'offre officiellement à l'avenir. Le village a l'air sympa et je suis pas contre me poser un peu, j'accepte avec plaisir. Il me présente alors à son ami, et nous allons à l'hostal où je vais rester une petite semaine, en travaillant le matin et en étant libre l'après-midi. Il m'explique les tâches à effectuer. Rien de bien difficile : désherber un peu, balayer la terrasse, repeindre des chaises, promener le chien... pardon, le quoi ?? Et voilà comment moi, petit nouvel asthmatique qui a une peur panique des chiens, je me retrouve tous les jours à faire mon footing en montagne pendant 30 à 45 minutes à 7h15 avec un monstre coupé du loup, féroce et aux yeux injectés de sang (un husky quoi).

    Les après-midis j'en profite pour visiter le village et ses alentours. Un jour je rencontre une femme qui me propose de venir à 18h dans un café où elle organise des rencontres interculturelles. Le but y est de parler en Anglais ou en Espagnol et de faire se rencontrer des personnes d'endroits différents. Le soir venu, nous sommes donc un Monténégrain, une Canadienne, cette femme colombienne et moi en train de raconter nos vies. Elle nous explique que dans les années 90 elle est partie en Angleterre pendant 2 ans en études, avant d'habiter 8 ans à Lyon en travaillant à l'université. Par la suite elle a voyagé pendant un an et demi de l'Europe jusqu'à l'Inde en stop, et là elle est revenue en Colombie pour fonder une école d'apprentissage de langues étrangères. Je lui demande alors qu'est-ce qui l'a poussé à quitter son pays si longtemps. Sa réponse est simple : "J'ai fui. J'ai fui la violence et la peur. J'aimais énormément mon pays, mais je ne pouvais pas y rester avec ce qui s'y passait. Je n'avais presque pas d'avenir, et sortir le soir m'aurait garanti de n'en avoir aucun. Maintenant que la situation s'améliore je suis revenue, pour aider et pour participer à cette ouverture sur le monde et surtout sur la paix." Ce témoignage nous laisse sans voix quelques instants, avant qu'elle ne rajoute modestement "Mais vous savez, je n'ai rien fait d'extraordinaire. À cette époque beaucoup de Colombiens le faisaient, et aujourd'hui d'autres nationalités sont dans cette situation". On se sent tous les trois ridicules de nos aventures, prétendant voyager à travers le monde alors que tout nous est en vérité si facile avec la puissance de nos monnaies respectives et de nos passeports, alors que nous dormons confortablement sur un matelas de droits et d'acquis dans nos pays. Voyager forme la jeunesse ? Peut-être, mais je dirai surtout que voyager permet de se prendre des claques par des personnes qui le font avec le sourire et involontairement.

    Les journées suivantes continuent à se dérouler sans problème. Je me promène donc entre les caféiers, orangers, bananiers, goyaviers et je vais voir les nombreuses cascades environnantes. Jusqu'au moment où, sur le retour d'une balade, je me rends compte que mon chemin passe au milieu de quatre chevaux accompagnés d'un berger allemand. Mon cœur s'accélère, mais de toute façon je n'ai pas d'autres choix que d'avancer pour rentrer. À cet instant, je me dis qu'il va me regarder passer, éventuellement aboyer un peu pour me faire comprendre que c'est chez lui, mais rien de plus. Je fais un pas, le chien lève la tête. Un deuxième et il aboie. Un troisième, il se met à grogner. Au quatrième il se met à courir vers moi en grognant violemment. La panique monte, mais pris d'un élan de courage venu du bas fond de mon cerveau reptilien, je lui ordonne avec la voix la plus grave et la plus autoritaire qu'il m'est possible de faire de s'arrêter. Interloqué, il stoppe net à 2m de moi. Cette pause de 3s a suffi pour que sa maîtresse arrive en courant et l'attrape par le collier. Je redémarre alors mon chemin, surpris d'avoir eu dans ma vie un semblant d'autorité sur un chien. 120 battements par minute, genoux qui tremblent, j'ai vraiment cru que mon voyage allait être écourté. Je rentre à l'auberge de jeunesse, et le husky me saute dessus et me lèche le visage car il est content de me revoir. Non mais qui a créé cet animal de m****...

   La semaine se termine, je décide d'aller à Medellin en stop. Face à la pluie tropicale extérieure, j'opte plutôt pour le bus. Je fais donc mon touriste aujourd'hui, allant aux endroits clefs de cette ville grouillante et grignotant graduellement les pans des montagnes environnantes. Je monte sur une colline offrant une vue à 360°, je découvre des sculptures de Fernando Botero, je me fonds dans des marchés pour sentir cette vie et ce dynamisme urbain. Je termine la journée par un tour de la Comuna 13, guidé et dont nous choisissons le prix que nous voulons payer. Je pense qu'il est alors temps de faire une parenthèse historique et culturelle dans mon récit. 

    Medellin se divise en 16 comunas, équivalents aux arrondissements des villes françaises. La comuna 13 fut pendant de très nombreuses années un quartier de non droit. Et pour cause : c'était là le repère des guérilleros des FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie). Ils y vivaient de trafic de drogues et de corruptions diverses. Les ambulances et les policiers ne venaient jamais dans ce quartier. Une des conséquences dramatiques était que lorsque quelqu'un décédait, si personne ne portait le cadavre dans un autre quartier, il restait à pourrir sur place indéfiniment. Il y eut en réalité quelques descentes de policiers dans le quartier. Dans la mesure où il était impossible pour eux de discerner un guérillero d'un civil, ils tiraient sur tous ceux qui sortaient de chez eux. D'un autre côté, les FARC tuaient quiconque sortait à la nuit tombée et maintenaient leur suprématie par la peur. Une décharge servant également de charnier, un cadavre d'enfant miné explosant lorsque ses parents le prennent dans les bras, des personnes terrifiées esclaves de leur pauvreté, autant dire que dans le coin il ne faisait pas bon vivre. Ou plutôt devrais-je dire survivre. Cependant, depuis quelques années, grâce à la mort de Escobar, grâce à la paix instaurée avec les FARC, et grâce à une volonté de la ville et des habitants du quartier, une seconde vie est peut-être en train de naître. Différents artistes de street-art ont donc réalisé des fresques murales grandioses, des danseurs de hip-hop offrent des petites démonstrations, et des "graffitis tours" sont proposés. De cette manière, certaines artères deviennent circulables, et grâce à l'argent apporté par les touristes des cours de langues étrangères gratuits sont dispensés. La prison qui était dans le quartier va également être changée de place, la première université de la comuna 13 a été construite, et des commerces s'y développent. Bien évidemment tout est très loin d'être rose. Du trafic de drogue et des règlements de compte non conventionnés ont encore lieu, et il vaut mieux ne pas y aller le soir venu quand on a ma face de blanc. Mais en tous cas, les habitants se permettent aujourd'hui un luxe oublié : avoir espoir. Peut-être qu'ils regardent passer toutes nos petites têtes blondes en se disant "tiens, voilà les portefeuilles vivant", mais en discutant avec différentes personnes, un réel traumatisme est présent et ils ressentent presque de la gratitude en voyant des groupes visiter les rues en quête de peintures murales. Alors aujourd'hui j'ai fait mon touriste, mais je pense que pour ce que j'y ai vu et entendu, ça en valait la peine.

    En fait, au-delà de l'histoire extrêmement poignante de ce quartier, il est surtout le reflet d'un état d'esprit plus large en Colombie. Beaucoup de Colombiens à qui j'ai pu parler sont traumatisés par leur passé, et maintenant que les choses semblent s'améliorer ils veulent y croire et montrer la beauté de leur pays. Finalement, après deux semaines et demi ici, ce qui me touche le plus ne sont pas les paysages ou la salsa omniprésente, mais plutôt  cette lumière dans les yeux de certains et leur espoir que leur pays continue les progrès engagés. Émouvant pays, il faut le reconnaître.

5 comentários


mapuccavane
09 de nov. de 2018

Salut Loick, c'est Vanesa, je ne sais pas si tu te souviens de moi, je suis la collègue Espagnole de tes parents et on s'était croisé à Décathlon avant que tu partes.

Quel merveilleux voyage tu as entrepris. J'aurais aimé avoir autant de courage pour avoir fais de même. Peut être que le fais que je sois une fille et que mes parents me transmettent la peur et la dangerosité de ce monde n'aient pas aidé. Enfin bref, je voyage tout de même à travers ton blog. Tu n'es plus un "baby", je te sens tellement mature et d'une grande sagesse et avec ce voyage tu le seras encore davantage. Tes parents peuvent être fière de toi. Continu comme ça…

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maquignongautier33
01 de nov. de 2018

Merci mon lolo non seulement tu nous fais voyager mais en plus tu nous permet d’ augmenter nos connaissances sur les pays que tu traverses . Je suis fier de toi pour avoir pu surpasser ta peur devant ce gros chien méchant bisous

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Jean-michel Rauscher
Jean-michel Rauscher
29 de out. de 2018

Continue comme cela à nous faire rêver

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Jean-michel Rauscher
Jean-michel Rauscher
29 de out. de 2018

La parenthèse historique me confirme que pendant des années, cette partie du monde était inaccessible aux simples touristes que nous sommes.

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Jean-michel Rauscher
Jean-michel Rauscher
29 de out. de 2018

Il est très heureux de voir des gens, comme cette dame, qui peuvent et essaient de changer ce pays, en améliorant la situation actuelle qui est encore fragile. Rien de mieux que de vouloir la PAIX en promouvant les échanges tout en s'ouvrant au monde.

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