Chapitre 8 : Cuzco, la cité aux trois empires
- Loïck RL
- 18 déc. 2018
- 6 min de lecture
Je me dirige rapidement vers la maison d'hôtes où je vais travailler pendant les deux prochains mois. Je ne rêve à cet instant que de deux choses : me doucher et dormir. J'entre dans l'Arcopata Guest House. J'espère que les propriétaires sont sympas et qu'il y a d'autres jeunes volontaires, car je me rends compte à ce moment que je suis un peu fatigué de cette solitude du voyageur routard. Bien que je fasse de très nombreuses rencontres, elles ne sont qu'éphémères. On me fait donc visiter les lieux, m'explique les différentes tâches à effectuer, me présente mes deux camarades pour les prochaines semaines, un Belge de 24 ans, Baudouin, et un Américain de 19 ans, James.
Cependant, à peine arrivé ici, je refais ma valise pour quelques jours pour partir visiter le Machu Picchu. Je veux en effet y aller avant que la pluie, théoriquement importante en Décembre et en Janvier, n'arrive. Pour voir cette Nouvelle Merveille du Monde, il faut passer auparavant une nuit au village d'Aguas Calientes, joignable uniquement à pied ou en train. Je me renseigne sur les tarifs en vigueur, gardant un excellent souvenir de mon dernier voyage ici en 2012. Malheureusement, le business juteux du tourisme a poussé les prix à être multipliés par 5, de 12$ l'aller en 2012 à 60$ aujourd'hui. Je préfère donc prendre un bus le plus loin possible avant de finir à pied pendant 2h le long du précieux chemin de fer. La balade n'est pas désagréable, mais ce n'est malheureusement que le début de ma découverte de l'évolution des environs. Arrivé à Aguas Calientes qui était dans mes souvenirs un village avec quelques hôtels, j'y trouve un paysage désolant. J'ai l'impression de rentrer dans Dysneyland. Des hôtels envahissent les flancs des montagnes, les bâtiments paraissent être faits pour des décors de films, l'église a l'air d'être en plâtre, des locaux portent des habits traditionnels pour faire plaisir aux touristes et se faire prendre en photos avec eux, les bars et les discothèques se succèdent, et la nourriture est trois à quatre fois plus chère que dans le reste du Pérou. Mickey aurait surgi derrière un mur que je n'aurais pas été surpris tant tout est fait pour que les touristes se sentent en promenade dans un pays magique sans les inconvénients du dépaysement. Il serait si facile de se laisser porter et d'agir en mouton, de manger une pizza et de payer une femme pour faire un selfi avec son lama avant d'aller boire des shots avec d'autres occidentaux. Mais ce serait oublier le Pérou que j'ai vu jusque-là. Et ce ne sont pas les valeurs que je veux véhiculer. Je ne veux pas participer à cette image du petit occidental transpirant l'argent venant voir les pauvres récupérer les miettes qu'il laisse derrière lui. Je m'achète alors quelques fruits et du pain, et je cours me réfugier dans l'une des rares auberges de jeunesse abordables de la ville. Le lendemain je me lève très tôt pour gagner le Machu Picchu à pied, situé à 700m au-dessus de la ville. Des bus y amènent, mais bien évidemment les prix là aussi dépassent le raisonnable. Tout au long de cette visite je suis partagé entre la splendeur du lieu, de ses paysages, de son histoire et de ses mystères, et la puanteur de certains touristes. Victime de son succès, des personnes y passent plus de temps à chercher la photo les mettant les plus en valeur qu'à regarder le paysage. Mais c'est tout à fait compréhensible, il est bien sûr plus important de pouvoir montrer aux autres à quel point nous sommes beaux et à quel point notre vie est intéressante plutôt que de se préoccuper de ces trois cailloux qui décorent l'arrière-plan. J'ai même eu droit au spectacle d'un couple se disputant fortement car le garçon n'arrivait pas à prendre la photo idéale de la fille. Minable et pathétique. Je détourne donc mes yeux de cette scène digne d'un film pour ne me préoccuper que de ce site incroyable. Redécouvert par l'Américain Hiram Bingham en 1911, les théories sur sa création là aussi fusent. Une chose sure est qu'il fut caché volontairement aux Espagnols par les Incas pour qu'il ne soit pas détruit, à un tel point que seuls quelques villageois des environs connaissaient son existence au début du XXème siècle. Ici tout est construit en fonction des éléments de la nature, vénérés par les Incas : les fenêtres donnent sur les montagnes, un temple est constuit de manière à ce qu'aux solstices le soleil passe exactement dans l'encadrement de la porte, une source d'eau a été détournée pour qu'une suite de fontaines traverse la cité, des petits bassins remplis d'eau permettent de refléter les étoiles la nuit sans se faire mal au cou... Tout émerveille sur ce petit bout de montagne si bien que, de la porte du soleil au Huayna Picchu en passant par la citadelle, j'y reste 8h30 avant de redescendre à Aguas Calientes. De retour à Cuzco et à mon auberge de jeunesse, on me présente une nouvelle volontaire, Susan. Elle est Allemande, et j'apprends que nous allons passer Noël et le premier de l'an ensemble. Je découvre également le travail ici, et le moins que je puisse dire est que j'adore cet endroit. Je rencontre des gens du monde entier, de la Québecoise séparatiste au couple de Basques Espagnols, je deviens ami avec une Barcelonaise en sympathisant avec des Belges Flamands et en apprenant à connaître des Hollandaises. Tous ces touristes ont des histoires plus intéressantes les unes que les autres à raconter. Ils ont, pour la plupart, parcouru le monde et sont avides de découvertes. Nous parlons tantôt anglais tantôt espagnol, et tous ont aux lèvres le sourire de celui qui veut profiter de chaque instant de la vie en ayant conscience que celui que l'on a en face est notre égal malgré les écarts culturels. Je découvre des états d'esprit différents du mien car sculptés par un passé autre, j'apprends tous les jours un peu plus à voir avec les yeux des autres, sans avoir la prétention de connaître le monde entier. C'est même le contraire, plus je discute de sujets divers, plus je réalise l'étendue de mon ignorance sur le monde. J'essaye pourtant de rester informé sur ce qui se passe, mais cet afflux d'opinions, de valeurs et de récits, qu'ils soient sur les voyages ou sur la politique, me fait me sentir si petit. J'hésite alors à soulager mon cerveau en me réfugiant dans mon téléphone et en scrollant sur Facebook à l'infini jusqu'à oublier ce qui m'entoure pour ne m'occuper de rien d'autre que de ma nouvelle photo de profil, jusqu'à laisser l'ethnocentrisme et l'égocentrisme si agréables et si pervers me submerger. Mais je ne veux pas. Comme marquées au fer rouge, ces années de voyage, avec mes parents ou par moi-même, m'ont forgé tel que je suis. Chaque personne rencontrée est unique et va peut-être me faire découvrir quelque chose d'inattendu. Je réalise aussi que j'ai, en quelques jours, entre le Machu Picchu et mon auberge, vu des touristes diamétralement opposés. Mais le temps passe, et déjà nous sommes mi-Décembre. J'ai à peine soufflé ma 22ème bougie que Baudouin s'en va. Cela fait maintenant presque deux ans qu'il voyage, et il estime qu'il est temps pour lui de rentrer en Belgique. Il souhaite retrouver sa famille et se poser un peu. C'est marrant, je suis au début de mon voyage, et lui il est fatigué du sien. C'est donc avec un pincement au cœur que je lui dis au revoir, tout en me demandant dans quel état je serai en Juillet prochain si tout se passe bien. Je ne sais vraiment pas, laissons les aiguilles de l'horloge tourner, il sera bien temps plus tard de s'en inquiéter. Je profite de mon temps à Cuzco pour la visiter. Ici, les Espagnols n'ont pas tout détruit. Ils ont utilisé les fondations et les bases des murs incas pour construire par dessus d'autres édifices. Pour montrer leur puissance et leur domination, ils ont construit un immense monastère sur le temple du soleil, le temple du Dieu inca le plus vénéré. C'est à la fois beau et perturbant. Mais le plus cocasse est que, puisque les commerces ont élu domicile dans les beaux bâtiments coloniaux, nous pouvons à certains endroits voir de curieuses façades : un début de mur inca surmonté de colonnades coloniales espagnoles sur lesquelles sont apposés le M de McDonald's ou le symbole de Starbucks. L'histoire ici se lit sur les murs, et chaque empire envahissant la ville y laisse sa marque.
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